Nouvelle à chute, premier prix départemental de l'Académie française
- Emma Oudot
- 9 sept. 2017
- 5 min de lecture
Pendant mes années lycéennes, j'ai remporté le premier prix départemental du concours de nouvelles départemental de l'Académie française.
Voici le texte qui m'a fait gagné :
www.unclicpourtrouverlamoureternel.fr
J’étais là, face à lui, au pied de cette magnifique et grande structure d'acier, ne sachant que dire. Et lui, il était là, devant moi, sous sa casquette aux couleurs de la France, me dévisageant avec ses grands yeux dont la teinte me rappelait celle de sa housse d'ordinateur. Son ordinateur qu'il avait avec lui, d'ailleurs, comme toujours.
J'avais l'habitude de le voir devant son écran, il y passait le plus clair son temps et l'emmenait partout où il allait. Il faut dire que l'on vivait de ça. En effet il besognait comme attaché de presse dans les courses hippiques, sa seconde passion après l'informatique. S'il ne se trouvait pas devant son PC, il était sur les champs de courses pour rédiger son rapport quotidien. Il se tuait au travail. C'est pour cette raison qu'il n'était pas souvent près de moi. Mais j'imagine que s'il travaillait d'arrache pied c'était pour moi, et je crois sincèrement qu'il s'efforçait d'être un bon mari.
Cependant, malgré ses efforts, je n'étais pas heureuse. Loin de là. À l’aube de la quarantaine et après 19 ans de mariage j'avais l'impression de ne pas avoir trouvé l'homme de ma vie. Pourtant, j'ai essayé de m'intéresser à ses loisirs.
Mais à l‘inverse de mon mari, l’informatique me déroutait. Bien sûr je faisais l'essentiel : lire mes courriels et faire une recherche sur l'Internet. Mais mon époux, ancien restaurateur de tableur grapheur, jouait, travaillait, écoutait de la musique, visionnait des films, vivait sur l'ordinateur. Je pense qu'il l'aimait plus que moi.
Quant à l'univers des chevaux et des courses, je le trouve idiot. En plus de ma peur bleue de ces bestioles, je n'admettais pas les paris. Mon époux avait engagé 30 000 euros sur un champion il y a 11 ans. Il avait perdu. C'est pour cela qu'il a dû changer d'emploi. Son travail actuel nous rapporte davantage.
Pour Noël 2005, toute la famille s'était cotisée pour m'acheter un ordinateur. Cela me paraissait étrange. J’avais pourtant explicitement dit que je ne comprenais pas tout à cette technologie. Par conséquent, c'est mon conjoint qui s'en servait. Lui, pour Noël, s'était vu offrir quelques accessoires informatiques: une souris modulable, une pochette de protection couleur pomme, une nouvelle carte mémoire et encore pleins de petites choses utiles.
En juin 2006, ma belle soeur est venue séjourner chez nous pendant une à deux semaines, histoire de se requinquer grâce à l'air de la campagne auvergnate. Citadine invétérée, elle était éreintée par son travail et par le bruit qu’elle devait supporter en permanence, jour après jour, nuit après nuit. Tout comme son grand frère, elle était passionnée d'informatique et elle empruntait souvent mon cadeau de Noël. Elle avait même trouvé son âme soeur grâce à Internet. Elle m'a montré en détail comment elle avait rencontré son fiancé du moment. Elle m'a expliqué qu'il existait ce qu'on appelle des sites de rencontre, c'est-à-dire des sites où l'on peut discuter anonymement avec qui l'on veut.
Un mois plus tard, alors que je m'ennuyais, comme la plupart des femmes au foyer, et que mon compagnon était à l'hippodrome avec son portable, j'allumai le mien. Après quatre ou cinq tentatives, je réussis enfin à me souvenir de l'adresse Web du fameux site de rencontre de ma belle soeur. Juste par curiosité je m'inscrivis sur www.unclicpourtrouverlamoureternel.fr. J'étais intriguée par ce système. Comment était-il possible de trouver l'amour virtuellement? Je choisis un pseudonyme un brin poétique, qui reflétait bien mon état d'âme: Desesperesse. Et c'est comme cela que tous les jours, pendant que mon homme travaillait, je me connectais à cet annuaire des célibataires. Je me fis quelques amis électroniques avec lesquels je discutais de tout et de rien.
Un après-midi, vers cinq heures, alors que je survolais les présentations de chaque prétendant, je m'attardai sur l'une d'elles. Celle d'un certain Roképine. Sa description disait, en plus de quelques détails physiologiques, que ce monsieur avait la quarantaine et qu'il était plutôt riche. Je réfléchis un instant. Puis je décidai de dialoguer avec cette personne. Après tout, ce n'était pas comme tromper mon mari, ni draguer. Une conversation n'engage en rien.
Au bout d'une heure de discussion avec cet individu, je connaissais sa ville (Lille), son caractère et ses goûts. D'ailleurs il se trouvait que je correspondais parfaitement à ceux-ci. Du moins intellectuellement parlant, car en ce qui concernait mon physique, je trouvais mille excuses pour ne pas lui fournir de photographie. Je ne voulais pas non plus le voir. J'avais bien trop peur de tomber sous son charme, d'autant plus que j'adorais les hommes au regard mentholé. Quant à ce que je lui ai dévoilé de moi, tout n'était pas vrai. Je lui ai fait part de mes goûts, de mon caractère, mais j'ai menti en lui disant que je n'étais pas mariée et que je vivais à Lyon. Rien n’oblige à la franchise sur ce genre de site.
Le lendemain, mon colocataire de mari m'apprit une bonne nouvelle. Il avait décroché une promotion et il rentrerait un peu plus tard dorénavant. Cette annonce me fit doublement plaisir, car, en plus du fait que nous allions gagner plus d'argent, je pourrais parler plus longtemps avec ce sympathique Roképine, qui, je l'avoue, me plaisait.
Chaque jour qui suivait, jusqu'à neuf heures, je discutais avec mon mystérieux célibataire. Il avait beaucoup de mal à se confier. Je savais donc peu de choses sur lui. C'est vrai que lui aussi me connaissait peu, mais ce secret permettait de garder un certain romantisme.
Les mois passaient et je commençais à tomber amoureuse de Roképine. C'est ce que j'avais redouté le plus. C'était de la folie, je le savais. Je ne connaissais presque rien de lui. Ni son vrai nom, ni son métier, ni sa frimousse. Et pourtant, chaque nuit je rêvais de lui, en lui inventant chaque fois un nouveau visage. Et puis, si mon mari découvrait ce que je faisais derrière son dos? Jusqu'ici j'avais eu de la chance, mais si par malheur il me surprenait à converser avec mon doux correspondant?
Depuis plusieurs mois, il n'y avait plus du tout de dialogue entre mon conjoint et moi. Tout juste un «bonjour» le matin et un «bonne nuit» le soir. Nous étions tels deux étrangers cohabitant dans la même maison. C'est quand j'ai réalisé la gravité de ma situation amoureuse que j'ai décidé de prendre ma vie en main et d’accepter un rendez-vous en tête à tête que Roképine, sollicitait de longue date. Après tout, je n’avais plus rien à perdre. Je n’avais ni enfant, ni travail et mes seuls amis étaient ma famille.
Un soir de juillet, après un an de correspondance, je lui accordai donc une rencontre réelle. Il était ravi. On avait fixé l’endroit, la date, l’heure et le signe de reconnaissance. Je me sentais un peu nerveuse et toutes sortes d’interrogations se bousculaient dans ma tête. Serais-je assez belle à son goût ? De quoi parlerons-nous ?
Quand mon époux rentra de sa journée de travail vers neuf heures et quart, il m'apprit qu'il partait une semaine en stage afin de se perfectionner encore en informatique. Tout était parfait. Il partait juste la semaine où avait lieu ma rencontre tant attendue avec mon Roképine.
Tout était planifié. Je prendrai le train pour Paris et, arrivée au point de rendez-vous, je chercherai cet homme à la casquette bleue, blanche et rouge.
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